Chevalier Morales

La proposition finaliste pour le Théâtre pour enfants Les Gros Becs bouleverse les postulats de la modélisation incluse au programme fonctionnel et technique sans toutefois en sacrifier les exigences quantitatives et qualitatives. Au contraire : le parti architectural est clair, fonctionnel et tourné vers la ville, la position scénographique s’est resserrée autour de l’objectif visé par un théâtre jeunesse, la structure a été largement simplifiée alors que le mode de réalisation envisagé permet de diminuer le risque financier et les problématiques de chantier sur un site déjà complexe en soi.

Nous proposons ici d’inverser la position de la salle et par conséquent celle de la cage de scène tels qu’ils ont été placés au programme fonctionnel et technique de manière à ce que la totalité des espaces publics puissent se retrouver au coin de la rue de la Barricade et de la rue Dalhousie. La cage de scène est ainsi repoussée derrière la caserne patrimoniale existante.

Les avantages de cette prise de position sont nombreux, dont la participation active du théâtre Les Gros Becs à la vie urbaine et à la consolidation du pôle culturel du secteur, notamment par sa nouvelle entré et sa nouvelle billetterie. L’image de marque du théâtre et sa présence contemporaine dans la ville est assurée par une série de volumes superposés, transparents et habités contrairement à ce qu’aurait pu offrir une cage de scène, aveugle et introvertie par définition.Transparents et ouverts, les foyers et l’espace d’animation accueillent au sein de leurs espaces la présence de la basse ville, le parvis du musée des civilisations, la place des canotiers, le port et les bateaux de croisière. La dimension maritime du secteur est réintégrée dans le projet : les bateaux fascinent : l’invitation au voyage est lancée.

La présence de l’entrée au coin de la rue de la Barricade et de la rue Dalhousie offre des options intéressantes pour le débarquement éventuel des jeunes et leur entrée rapide et efficace dans le théâtre. Les circulations piétonnes autour du site sont optimisées tant pour les usagers que pour le public. Le développement de ce parti aura permis d’offrir au public, aux artistes, aux techniciens ainsi qu’aux administrateurs des circulations fonctionnelles claires et distinctes .Au-dessus dela salle multifonctionnelle, le secteur des bureaux se déploie autour d’un toit terrasse ou revivent en pots les lilas japonais, témoins lointains de la fascination de Robert Lepage pour l’orient. L’actuel foyer de la caserne étant libéré de sa fonction initiale, trop étroit de toute manière, il devient un petit espace café - bistro pour les artistes qui bénéficient d’un espace de détente à eux donnant accès à la lumière du jour.

Cette proposition implique une démolition en grande partie de l’immeuble de 1996. Une grande quantité d’acier pourra néanmoins être recyclée et contribuer à en diminuer les coûts. L’érection d’un immeuble neuf sur une fondation et des entrées de services récupérées permet à la fois de simplifier les efforts en structure, d’assurer une pérennité optimale des installations et de diminuer de beaucoup les risques de problèmes de chantier. L’héritage de l’architecte Jacques Plante ainsi que l’œuvre intégrée à la boite noire existante sont réintégrés à la nouvelle composition notamment par la récupération du granit noir et sa transformation en parvis. La dimension narrative des œuvres initiales trouve son écho dans le travail de fragmentation et d’embossage qui entre dans la composition de l’enveloppe proposée. Enfin le patrimoine immatériel présent dans les lieux par vingt années de création d’Ex Machina, demeure notamment palpable dans les combles de la caserne laissés en majeure partie intacts.

Imagination, vestiges et fragmentation

Nous étions soucieux que l’expérience des lieux pour la jeunesse soit mémorable et ce peu importe le groupe d’âge, raison pour laquelle nous avons préféré travailler davantage avec la notion d’imaginaire, qui nous semble plus large qu’avec celle de la ludicité. Notre vision de l’imaginaire chez l’enfant ou l’adolescent s’apparente à celle d’un univers fragmentaire ou flottent des objets, des flux, des idées, des concepts, des éclats de lumière ou des zones d’ombre. L’imaginaire jeunesse nous semble être une œuvre ouverte beaucoup moins cristallisée que chez l’adulte et à l’intérieur duquel s’engouffre le théâtre pour le transformer et y laisser une forte impression, un souvenir durable.

La matérialisation de cette idée à l’intérieur du projet prend plusieurs formes : d’abord par une petite vitrine extérieure plane s’ouvrant sur les vestiges du quai Lymburner – Crawford. Ensuite, par la mise en place d’une enveloppe constituée de verres clairs, de verres bronze, de panneaux plats en aluminium et d’une série de panneaux perforés et embossés reprenant des fragments géométrisés de motifs et de lignes de la caserne Dalhousie. Ce dernier assemblage de formes découpées et abstraites, construit un dialogue étroit avec la caserne et assure également la transition vers le musée de la civilisation. Ce fragment de façade inséré derrière du verre se présente en définitive comme un jeu d’architecture ouvert, incomplet et suggérant ses propres règles. Dès l’entrée dans le foyer principal, l’idée se poursuit : la présence de nouveaux fragments se fait sentir par l’inclusion dans des boites de verre de costumes de forte texture issus de pièces antérieures ainsi par des découpes métalliques suspendues, issues d’exercices de co-design avec la clientèle jeunesse et qui gagneront à être remplacées au fil du temps. Ces stratégies visent à établir une première impression marquante et à ouvrir les portes de l’imaginaire.

Au-delà de cette enveloppe en partie narrative se cache également une forme bleue qui se dérobe et qu’au final on ne découvre toujours que par fragment, un morceau à la fois. C’est le cas dans les foyers, dans les accès à la salle (longeant des double hauteurs) ainsi que dans l’espace d’animation. La salle elle-même offre un antre bleuté d’où émane une lumière douce de chaque côté, semblable à une voie lactée. Les sièges sont clairs mais disparaissant au fur et à mesure que la salle est habitée. La salle n’attire pas l’attention sur elle-même.

Considérations scénographiques

Dans le projet de théâtre pour enfants Les Gros Becs, plusieurs données de base doivent être prises en considération dans la planification et la détermination des caractéristiques et aménagements scénographiques du lieu et de ses fonctions et de l’ensemble des composantes du bâtiment. Cela va de soi direz-vous, mais ne perdons pas de vue que le théâtre pour enfants est un théâtre qui ne requiert pas de fonctions techniques et scénographiques aussi importantes que d’autres opérations spectacles pour des publics adultes. C’est pour ces raisons que nous croyons qu’il serait judicieux et approprié de donner une direction plus adaptée aux fonctions premières de ce projet. Pour ce faire nous préconisons entre autres de réduire les dimensions de l’ouverture du cadre de scène, la hauteur de la cage de scène, et de modifier l’implantation des passerelles de la cage de scène. Malgré ces propositions visant, non pas à réduire cet espace mais bien à le rendre plus apte à sa fonction première, à savoir la représentation théâtrale pour enfants, il restera toujours un espace parfaitement adéquat pour la présentation d’autres types et envergures de spectacles qui s’adresseront à des clientèles adultes

Certains éléments scénographiques doivent être prioritairement pris en considération afin de s’assurer de la meilleure qualité d’accueil et de diffusion possible pour la clientèle spécifique que représente la petite enfance du côté de la salle. En effet il est particulièrement important de créer non seulement un espace chaleureux, invitant et confortable, mais aussi de faire en sorte que les jeunes spectateurs et leurs accompagnateurs sentent bien la communauté d’écoute que requiert l’acte théâtral, qu’il s’adresse aux adultes ou aux tout petits. C’est pour, entre autres, ces raisons que nous préconisons des pentes plus douces dans l’implantation des gradins et fauteuils tout en conservant des angles de visions optimaux de chacune des places de la salle vers la scène, le tout en s’assurant de ne pas créer d’effet d’étagement trop important entre les rangs des gradins.

Ainsi l’enveloppe autour des spectateurs jouera un rôle d’écrin chaleureux permettant une communication enveloppante plutôt que frontale. Cette approche doit être accompagnée d’un aménagement de l’espace des plus légers et vaporeux possibles dans tout ce lieu. C’est dans cet esprit que nous préconisons également d’alléger les structures dans la partie haute de la salle en réduisant le réseau de passerelles et d’infrastructure d’accrochage au-dessus du public. Les propositions et approches de modifications aux aménagements du projet d’un point de vue scénographique et théâtral, sont proposées ici afin de susciter une réflexion des intervenants sur l’ampleur du projet afin que tous s’assurent de la plus grande pertinence possible des décisions qui seront prises.